La France à l'Afrique : "Allez-vous en" (28 août 1996)

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LA FRANCE A L'AFRIQUE : "ALLEZ-VOUS EN !"
Par Mumia Abu-Jamal,
28 août 1996


"Comprendre ce poème, c'est comprendre le rôle qu'on a à jouer, identifier sa démarche, fourbir ses armes. Il n'y a pas un  colonisé qui ne reçoive le message contenu dans ce poème. Naman, héros des champs de bataille d'Europe, Naman qui ne cessa d'assurer à la métropole puissance et pérennité, Naman mitraillé par les forces de police au moment où il reprend contact avec sa terre natale, c'est Sétif en 1945, Fort-de-France, Saïgon, Dakar, Lagos. Tous ces nègres et tous ces bicots qui se sont battus pour défendre la liberté de la France ou la civilisation britannique se retrouvent dans ce poème de Keita Fodeba."
Frantz Fanon sur "Aube Africaine" de Fodeba - dans les Damnés de la Terre,  1961

Pendant la plus grande partie de ce siècle, la République a puisé le meilleur de ses forces dans ce qu'elle appelait ses "territoires d'outremer" qu'il serait plus juste de qualifier de terres exploitées" puisque assujetties, conquises et saignées à blanc en tant que colonies de la soi-disant "Mère patrie".

Matières premières, vestiges historiques, esclaves et plus tard main d'oeuvre à bon marché affluèrent d'Afrique et de certaines parties de l'Asie vers l'Europe. En fait, de 1895 à 1959, la France a gouverné de vastes étendues de l'Afrique, y compris les nations qui s'appellent aujourd'hui le Mali, le Sénégal, la Mauritanie, le Soudan, le Burkina Faso, la Guinée, le Niger, la Côte d'Ivoire et le Bénin. Elle gouvernait aussi une bonne partie de l'Afrique du Nord dont le Maroc, l'Algérie et la Tunisie.

Il s'agissait de dizaines de millions de populations noires et basanées dont la vie, le mode de vie, le langage et l'avenir avaient été régis par une assez petite nation d'Europe et ce pendant plus d'un demi siècle !
Et aujourd'hui, comme en témoigne la récente expulsion hors d'une église de plus de 300 immigrés africains de France, la "Mère patrie" expulse ses anciens "colonisés".

Une grève de la faim de plus de 50 jours par des immigrés, essentiellement Maliens et Sénégalais, n'a pas empêché un raid des forces spéciales de la police française contre l'église Saint-Bernard du quartier de la Goutte d'Or, et, fin août, les immigrés chassés de cette chapelle parisienne par un véritable coup de force, se retrouvaient en danger d'expulsion immédiate.

Tandis que les économies européennes (et - ne l'oublions pas - l'économie américaine) commencent à battre de l'aile, les forces de droite font appel à l'instinct suprémaciste des blancs pour ériger en bouc émissaires du chômage et des maux économiques ceux qu'on appelle "étrangers" en France, "Auslanders" en Allemagne, "Wetbacks" en anglais-américain.
Mais qu'en est-il du chaos économique, social, politique et psychologique fomenté depuis des générations dans les "colonies" ?

Après un siècle de méga-exploitation des régions du Nord et du Centre de l'Afrique, la "Mère patrie" renvoie chez eux les enfants et les petits-enfants de ses ex-colonisés.
"Allez-vous en !" hurle-t-elle.

Pour les Africains-Américains en but à un apartheid intérieur, la France était pourtant devenue un asile contre la répression de leur gouvernement : des artistes et des écrivains tels que Miles Davis, la divine Nina Simone, James Baldwin, Richard Wright ou Joséphine Baker purent respirer librement pour la première fois sur le sol français en tant qu'exilés.
D'où notre douleur devant la haine et l'hostilité anti-africaines auxquelles sont confrontés nos frères néocolonisés au bord de l'expulsion.
Mais une vérité qui fait mal n'en est pas moins une vérité.
Aux côtés des immigrés africains, nous crions "A bas les expulsions !"


Traduction : C.S.P.P

Publié dans Chroniques de Mumia

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