Culture volée (29 octobre 2001)

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Culture volée
Du couloir de la mort
Mumia Abu-Jamal 29/10/2001
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"Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission historique : la remplir ou la trahir." Frantz Fanon, Les Damnés de la Terre.

L'engouement actuel pour la musique rap/Hip-Hop, appelé communément le "gangsta rap", est largement critiqué par la classe moyenne et les groupes d'âges moyens, observateurs qui voient cette musique (lorsqu'il la considère comme une musique) comme nihiliste, idiote, négative et profondément misogyne dans le ton. C'est cette réponse très négative des anciens de l'époque des droits civils et du féminisme qui fait d'avantage aimer cette musique aux très jeunes, qui n'ont pas de frissons plus délicieux dans la vie que de contrarier leurs parents et leurs autres aînés.
Cependant, ni le phénomène appelé musique "gangsta", ni la pimpologie(1) qui est reflétée dans la musique populaire, vont l'une sans l'autre. Ces deux tendances naissent de l'exploitation commerciale de la culture populaire noire, ainsi que de la répression politique du gouvernement qui frappa l'Amérique noire.
Dans une récente discussion avec un rappeur d'à peine 20 ans, nouvelle signature de Death Row, l'auteur a été surpris par les remarques positives du jeune homme à propos des pimps et du pimping.
Quand plusieurs de ses aînés le questionnèrent à propos de ses idées et d'où elles venaient, ils furent d'autant plus surpris que la source de ses visions positives était un film des années 70, appelé "The Mack", qui glorifiait la vie de pimp. Lui, en retour, était véritablement surpris d'apprendre que le film était un fantasme et que le terme "pimp", était un terme de dérision, un sobriquet rabaissant.
"Vous voulez dire que s'était pas vraiment comme ça autrefois, comme s'était dans The Mack?" demanda-t-il incrédule.
Tel est le pouvoir du film, qu'un youngster, puisse voir une telle évasion fantaisiste et penser que cela dépeint la vraie vie. Combien des jeunes rappeurs qui glorifient la vie de pimp dans leur musique, pensent de la même façon ?

Il y a une autre raison bien plus sinistre à tout ça, qu'a expliqué Geronimo Ji-jagga, l'ancien ministre de la défense des Black Panthers de Los Angeles, et ancien prisonnier politique :
"Huey Newton fit une lecture à ce sujet une fois et nous avions eu la vision prémonitoire que cela allait se passer ainsi. Après que les dirigeants du parti des Black Panther aient été attaqués (2) à la fin des années 60, début des années 70, à travers la communauté noire et les autres oppressées le rôle modèle pour la génération à venir devint celui des pimps, des gangsters, des dealers de drogue, etc. C'est ce que le gouvernement voulait qu'il advienne. Le résultat direct a été que les gangs se formèrent, se rassemblant auprès de la mentalité de gang, s'opposant à la mentalité révolutionnaire et progressive que nous leur aurions donnée. Ainsi en éliminant ou en conduisant la guidance progressiste - le correct modèle underground, les tuants et les enfermant en prison, les éliminant - toute cette jeune génération fut laissée à la proie de ce dans quoi le gouvernement voulait les engrainer". (Entretient avec H. Kleffner 1993)
Par conséquent le virage "gangsta"-pimp a une origine économique : l'exploitation culturelle, ainsi que gouvernementale : la répression politique.
De manière similaire, les anciens lecteurs de ces colonnes se souviendront de l'histoire encore une fois d'un autre hôte de Death Row qui, bien qu'il possédât une intelligence aiguë, ne connaissaient absolument rien de significatif sur le Black Panther Party, bien qu'il soit né, ait vécu et soit presque mort dans les rues de North Philadelphia, presque à un mile de là où était situé l'ancien bureau des panthères, sur Columbia Avenue (depuis renommée, Cécil B. Moore, d'après l'ancien avocat des droits civiques).
Sa plus grosse influence de consommation culturelle ?
Alors qu'il écoute du rap, il se tournait principalement vers les exploits du gangster cubain, Tony Montana, du film "Scarface". Davantage de jeunes rappeurs étaient sans doute profondément influencés par l'obscène opulence accumulée par l'immigré cubain dealer de cocaïne que par les exploits d'autres rappeurs.
La leçon ici est que les productions culturelles toxiques produisent d'avantage de produits culturellement toxiques, et alors que l'un est louangé comme un art puissant, l'autre est condamné comme un dangereux mirliton (3). Ce que les gens oublient c'est qu'elles sont étroitement liées.
Ces deux formes d'art sont basées sur ce que le Docteur Huey P. Newton (fondateur du Black Panther Party) appelait les "capitalistes illégitimes" ou ceux qui veulent acquérir du capital par des moyens illégaux. Et tous deux reflètent la population des Etats-Unis qui a été exclu des avenues de la vie économique américaine qui payent bien. L'une produit l'autre.



(1) Pimp : Maquereau - Pimpologie : apologie des maquereaux et souteneurs, histoires de maquereaux.
(2) Il fait allusion aux attaques physiques et mentales des USA portés à l'égard des panthères : assassinats, emprisonnements sur de fausses accusations,etc.
(3) Mirliton : n. m (d'un ancien refrain). Instrument de musique en forme de tube, dont les extrémités sont pourvues de membranes qui vibrent sous l'effet de l'air insufflé par l'une des deux ouvertures latérales, ce qui transforme et amplifie la voix. (Larousse illustré 2002)

Traductions : Ben - Cosimapp

Publié dans Chroniques de Mumia

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