Déposition sous serment de Veronica Jones (mai 96)

Publié le

COUR SUPREME DE PENNSYLVANIE
EASTERN DISTRICT
N° 119 du Rôle d’Appel Capital


COMMONWEALTH  DE  PENNSYLVANIE
CONTRE  MUMIA  ABU-JAMAL
(alias Wesley Cook)


DEPOSITION SOUS SERMENT DE VERONICA JONES

Je, soussignée Veronica Jones, certifie que les faits consignés dans la déposition ci-après sont, autant que je puisse en juger et dans la mesure de mes connaissances, véridiques et corrects, passibles d’amende pour fausse déclaration aux autorités ainsi que le prévoit l’article 18 du P.A.C.S. sec. 4904 :
1.    le 29 juin 1982, j’ai été appelée par la défense à déposer sous serment en tant que témoin dans l’affaire Commonwealth contre Jamal Nos 1357-1359, Sessions de janvier 1982. J’ai témoigné, en tant que témoin oculaire, de ce qui s’est passé aux premières heures du matin du 9 décembre 1981, quand l’officier de police Daniel Faulkner a été abattu dans Locust street entre les 12ème et 13ème rues, au centre de Philadelphie. Mon témoignage, par rapport à ce que j’ai vu, n’était pas véridique car deux policiers en civil m’avaient dit avant que je témoigne que je n’aurais pas de “souci à me faire” pour les graves accusations criminelles auxquelles j’étais confrontée, si j’accusais Jamal d’avoir tué le policier. En particulier, lors du procès, j’ai nié à plusieurs reprises avoir vu deux individus s’éloigner en courant ou d’un pas de “jogging” du lieu de la fusillade après que les coups de feu aient été tirés et que le policier se soit effondré avant l’arrivée de la police. Ce témoignage était faux. En réalité, j’ai vu deux hommes partir en hâte, comme je l’avais précédemment rapporté à la police dans une déposition que j’ai signée.
2.    Les circonstances dans lesquelles j’ai été amenée à faire cela sont les suivantes : le 12 juin 1982, à peu près 2 semaines avant mon témoignage au procès de Jamal, j’ai été retenue sous le coup de charges criminelles majeures (CP 8206-3059, vol, voie de fait, possession d’arme, et de nombreux chefs d’accusation). Je ne pouvais pas payer la caution car elle était trop élevée et quand je me suis présentée comme témoin, j’étais déjà en état d’arrestation, détenue à la prison du comté de Philadelphie. On m’avait dit que je risquais entre 10 et 15 ans de prison si j’étais reconnue coupable de ces charges.
Environ une semaine avant que je témoigne, j’ai reçu la visite en prison de deux policiers blancs en civil. J’ai d’abord eu un choc quand je les ai vus, car les gardiens m’avaient annoncé la visite de mon avocat. Les policiers on commencé à parler, non pas des faits relatifs à mon affaire, mais de celle de Jamal. Ils m’ont dit que si je témoignais contre Jamal et l’identifiais comme celui qui avait tiré, je n’aurais plus de soucis à me faire à propos des charges criminelles en instance contre moi. J’ai dit à ces policiers, à plusieurs reprises, que je n’avais pas vu l’échange de coups de feu, mais les avais seulement entendus et que j’avais vu ensuite deux hommes partir en courant. Mais cela ne les satisfaisait pas. Les policiers m’ont alors menacée, me rappelant que je faisais face à une longue peine d’emprisonnement (quinze ans pour possession d’arme), insistant sans répit pour que j’atteste leur version des faits. Terrifiée, je leur ai réclamé la présence de mon avocat. Quand ils sont finalement partis, je savais que si je faisais quoi que ce soit pour aider les défenseurs de Jamal, je risquais de nombreuses années de prison.
Très peu de jours après, j’ai été amenée au tribunal. Je pensais que j’allais comparaître pour ma propre affaire. A ma grande surprise, je me suis retrouvée au coeur du procès de Jamal. Les deux policiers, qui m’avaient menacée auparavant, étaient là, bien en vue debout au fond de la salle. Quand l’avocat de Jamal m’a demandé de confirmer ma première déposition à la police, à savoir que j’avais vu deux hommes s’enfuir en courant du lieu de la fusillade après l’arrêt des coups de feu, j’ai tout nié catégoriquement par peur d’être punie si j’aidais la défense.
A cette époque j’avais 21 ans et étais mère de trois jeunes enfants.

3.    Suite à ma comparution au procès de Jamal, on m’a accordé la libération sous caution. J’ai été relaxée et finalement mise en liberté surveillée malgré toutes les charges criminelles pesant contre moi.
4.    Voici ce que j’ai réellement vu le nuit de la fusillade. Je me tenais à l’angle nord-ouest de Locust Street et de la 12ème rue lorsque j’ai entendu trois coups de feu. J’ai tourné au coin de la rue devant un immeuble, descendant le long de Locust Street vers la 13ème rue, en direction de la fusillade. C’est alors que j’ai vu un policier à terre et que deux hommes noirs se sont mis à marcher, puis à courir d’un pas de “jogging”, s’éloignant ainsi de l’endroit où il était allongé à terre. J’ai aussi aperçu un autre homme noir qui se tenait près de l’entrée de Speedline, au coin sud-est de Locust Street et de la 13ème rue.
Désirant voir de plus près ce qui se passait, j’ai marché vers la 13ème rue sur le côté nord de Locust et c’est à mi-chemin que j’ai vu les phares de deux voitures de police qui approchaient. J’ai rebroussé chemin vers la 12ème rue. De là, j’ai contourné le lieu de la fusillade au sud de la 12ème rue jusqu’à Pine, puis de Pine vers Broad, et ensuite, au nord, jusqu’à l’intersection de Broad et Locust. C’était une bonne place pour observer ce que faisait la police. Je n’avais plus qu’à regarder vers le haut de Locust à l’est. A aucun moment, je n’ai vu une prostituée que l’on appelait “Lucky”, mais dont le vrai nom est Cynthia White.
5.    Une semaine après l’incident, deux policiers en civil de Philadelphie et un autre de Camden, pas ceux que j’ai vu avant mon témoignage, sont venus chez ma mère à Camden après 21 heures, la nuit du 15 décembre 1981, pour m’interroger. Ils n’avaient pas téléphoné à l’avance. Je ne les attendais donc pas. J’ai quand même accepté de leur répondre. ma mère était présente. Ils ont écrit une déposition de cinq pages, à la main, après m’avoir questionnée. Ils ont aussi dessiné un croquis. J’ai signé les deux documents. Comme je l’ai dit plus haut, la description par écrit de ce que j’ai vu la nuit en question, que j’ai renié à la barre, est en gros exacte; notamment la partie qui concerne les deux hommes s’éloignant, d’une sorte de pas de “jogging”, du policier à terre. Il y avait, cependant, deux erreurs sur le diagramme que j’ai essayé de rectifier pendant ma déposition à l’audience. Je n’ai rencontré ni parlé à aucun représentant de la défense avant mon témoignage, en dépit du fait que c’étaient eux qui m’avaient citée comme témoin à comparaître.
6.    Lors du contre-interrogatoire du procureur adjoint pendant le procès, j’ai accepté sa suggestion, quand j’ai été confrontée à ma déposition, que “la plupart de ce que vous avez dit dans cette déclaration n’est pas vrai”. (page 147 de la transcription du procès le 29/6/82). Ce témoignage-là était faux. j’ai également menti quand j’ai répondu à l’avocat de la défense, qui me pressait de dire que j’avais vu deux hommes partir en “joggant” du lieu de l’incident, par l’affirmation totalement fausse : “personne n’a bougé” (page 99 de la transcription du procès le 29/6/82)
7.    En tout j’ai eu trois contacts avec la police ou des policiers en civil après la fusillade : une première fois, le 15 décembre, quand j’ai fait ma déclaration au domicile de ma mère; quelques temps plus tard, quand les policiers en uniforme du 6ème district m’ont arrêtée et interrogée pendant des heures, et qu’ils m’ont offert l’immunité contre des arrestations futures pour prostitution, si j’identifiais Jamal comme étant l’homme qui avait tiré, le même marché qu’ils avaient proposé à Cynthia White (Lucky); et, enfin, quand deux policiers en civil sont venus me voir en prison après mon arrestation pour charges criminelles, juste avant que je témoigne, et qu’ils m’ont tellement terrifiée que j’en ai changé mon témoignage et n’ai pas aidé la  défense.
8.    A cette époque-là, j’utilisais des faux noms quand j’étais arrêtée (y compris Rhonda Harris et Louise Tatum), et tout ce que je donnais à la police était faux : adresses, dates de naissance et numéros de Sécurité Sociale. Après mon élargissement, j’ai quitté le secteur de Philadelphie/Camden. La plupart du temps, j’ai vécu hors de Pennsylvanie. Mon numéro de téléphone est toujours sur liste rouge.
9.    Je fais cette déclaration de mon propre gré, après avoir été contactée pour la première fois par les avocats de M. Jamal. Personne ne m’a menacée, ne m’a offert d’avantages d’aucune sorte, ni ne m’a fait aucune promesse quelconque, en échange de cette déposition. Je ne la fais, à présent, que parce que c’est la vérité et qu’elle rectifie le faux témoignage que j’ai fait au procès.


    signé,
    VERONICA JONES
    En date du : 21 mai 1996

Traduction : C.S.P.P

Publié dans Docs divers

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