Pourquoi ? (19 sept. 2001)

Publié le

« Pourquoi ? »
Du couloir de la mort
Mumia Abu-Jamal
17/09/2001
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La voix de la femme à travers le combiné du téléphone semblait remplie de larmes, tandis qu’elle suppliait le présentateur peu réceptif du talk show de lui répondre, « Pourquoi nous détestent-ils tant ? Pourquoi ? ».
Sa voix, bien que non véritablement diffusée pendant l’émission, résonnait dans les consciences de millions d’Américains, qui observaient les ruines du World Trade Center, se sentant défaillir par tant de violence sournoise, et s’interrogeant, « Pourquoi ? »
Ceci est une réaction typiquement américaine, qui puise son origine dans cette culture sans passé, qui a seulement un avenir rempli d’aisances matérielles, de crèmes glacées allégées, et de voitures de luxe.
L’Histoire, pour des millions d’Américains, se limite à John Wayne, ou aux sans failles et sans reproche Pères Fondateurs dont on a tant fait l’éloge. La plus grande partie du monde extérieur importe peu, puisqu’elle contient des sujets de l’Empire donc, par conséquent, malléables.
Leurs histoires, étroitement liées à celle des États-Unis, n’a guère d’influences. Alors la question demeure, « Pourquoi ? »".
Cette ignorance quasi volontaire de millions d'Américains les amène à s'attarder sur le bombardement du United States Ship Cole et sur les avions aux trajectoires brutalement déviées du 11 Septembre 2001, et à s'interroger, « Pourquoi ? ».
Si vous, lecteur, ne souhaitez pas entendre de réponses à cette question qui mérite réflexion, considérez-vous libre de tourner la page, car la réponse de l'auteur risque de vous déplaire.
Le bombardement via les avions détournés du World Trade Center et du Pentagone n'a pas commencé le 11 Septembre 2001. Il ne s'agit pas non plus, comme certains politiciens l'avancent prestement, d' « une guerre dirigée vers les pays civilisés ». Mais ce n'est pas le boulot des hommes politiques de vous tenir informés.
C'est le rôle des médias, mais leur préoccupation première est de se jouer de vous et, ainsi, ils ne cherchent pas à vous déranger. Leur principale responsabilité n'est pas celle de leurs lecteurs, mais de leurs dirigeants, ou encore de leurs actionnaires. Et il est des intérêts du complexe militaro-industriel que des millions restent sous-informés ou mal informés.
Les suicides par avions sur les villes de NY, Washington, et en Pennsylvanie voient leurs prémices sur les terrains montagneux de l'Afghanistan, au cours d'une guérilla longue de 10 ans menée contre l'ex. Union Soviétique. Cette guerre a été financée et rendue plus facile par la CIA, qui a injecté des milliards dans le mouvement d'insurrection antisoviétique. Le résultat ? Un sociologue algérien rapporta à un journaliste américain à Alger, « Votre gouvernement a engendré un monstre »
sociologue ajouta, « Désormais, il s'est retourné contre vous et le monde entier… 16 000 membres des États Arabes ont été entraînés en Afghanistan, transformés en véritables machines à tuer » (Los Angeles Times, Aug. 4, 1996
diplomate américain refléta ces propos lorsqu'il annonça : « C'est un exemple fou de retournement d'une situation contre ses auteurs. On ne peut insuffler des milliards de dollars dans un 'jihad' contre le communisme, recueillir la participation de tous les pays, et négliger les conséquences. Mais c’est ce que nous avons fait. Nos objectifs n'étaient pas la paix, ni le rétablissement du calme en Afghanistan. Notre but était de détruire les Communistes, et de débarrasser l'Afghanistan de tous les Russes ». (Los Angeles Times, Aug. 4, 1996, p. 2).

Comment les Afghans ont-ils payé leurs armes, dans un pays si pauvre, tellement ravagé par la guerre ? Combien sont conscients que l'Afghanistan est le premier producteur d'héroïne du monde ?
Plutôt dépourvus en ressources financières, les "mujaheddin" Afghans ont alors échangé des armes avec la CIA, et le "Croissant Doré" était né.
Quand les Russes furent évincés, et que la guerre fut finie, les révoltés regardèrent autour d'eux et virent, non plus les Soviétiques, mais l’Amérique. Ils aperçurent sa présence militaire dans les lieux sacrés islamiques de l'Arabie Saoudite, son soutien pour certains États antidémocratiques, ses dommages engendrés en Irak, et son support unilatéral envers Israël, aux dépens des Palestiniens assiégés, et en observant plus en détail les USA, ils virent les similitudes impérialistes avec les Soviétiques.
L'Afghanistan, l'un des pays les plus pauvres, un des endroits les plus durs dans le monde, possède une population masculine dont l’espérance de vie atteint 46 ans (45 pour les femmes!). Il détient également un taux d'alphabétisation de 29%. Il regarde l'énorme opulence des Américains, l'emprise globale de l'Empire américain, et son poil se dresse.
Ces différences tant sur les plans national, culturel, religieux ou encore de richesses, engendrent une profonde et durable haine à l'encontre de la présence américaine.
L'humiliation, que le monde Islamique a dû souvent traiter depuis la chute de l'Empire Ottoman en 1922, et la période colonialiste du début jusqu'au milieu du 20ème siècle, est une source de motivation très grande. C'est elle qui a amené un petit Allemand au bord de la conquête du monde après la première guerre mondiale. Elle ne doit en aucun cas être prise à la légère.
L'Afghanistan peut se révéler être un tournant décisif dans l'histoire mondiale, c'est pourquoi nous devrions tous nous informer sur ce qu'il s'y trame.




Traduction : David (Cosimapp)

Publié dans Chroniques de Mumia

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