Témoin d’une extermination (Rick Halperin - mai 98)

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Témoin d’une extermination
Par Rick Halperin - mai 98


Le mercredi 29 avril, à Huntsville, j’ai assisté à l’exécution de Franck McFarland. Je vais, dans ce qui suit, essayer de retracer ce que j’ai vu et ce que j’ai ressenti.

Frank McFarland a été condamné suite à la mort de Terri Lynn Hokanson, le 1er février 1988. Avant de mourir cette dernière a dit à la police qu’elle avait été violée et poignardée par deux hommes. Lors de sa condamnation à mort, Franck était âgé de 24 ans.

Frank m’a écrit pour la première fois il y a deux ans, et depuis nous avons entretenu une correspondance régulière. Il a toujours clamé son innocence.

Sa famille vit dans la zone « metroplex » de Dallas, et en 1997 Franck m’a demandé de contacter sa sœur, Dawn, afin de l’introduire auprès de personnes engagées dans la lutte abolitionniste dans la région de Dallas.

En février et mars de cette même année, lorsqu’il apparut que l’exécution qui avait été fixée au 29 avril risquait d’être effective, il demanda à me rencontrer, et me fit ajouter sur sa liste de visiteurs.

Le samedi, Dawn et moi fîmes le voyage (trois heures) de Dallas à Huntsville et nous restâmes quatre heures avec Frank, de 17 h 30 à 21 h 30.

Frank et moi avons parlé de nombreuses choses, centrées essentiellement sur son exécution qui était imminente. Il attendait alors de savoir si, oui ou non, une audience de témoignages lui serait accordée, qui, selon son avocat et lui, apporterait de sérieux doutes sur sa culpabilité.

Frank semblait très en forme, mais n’était pas exagérément optimiste en ce qui concernait cette audience. Ce qui le préoccupait, c’était plutôt de mettre de l’ordre dans ses affaires, de préparer à son exécution, et de réfléchir à ce qu’il souhaitait pour après.

A maintes reprises, durant notre conversation, il dit qu’il était prêt à mourir et que cela mettrait fin à la torture psychologique et physique qu’il supportait depuis les dix années qu’il était dans le couloir de la mort. Il dit, par exemple, qu’il en avait assez de regagner sa cellule, après la visite des membres de sa famille, pour découvrir que des gardiens avaient détruit ses effets et endommagé ce qu’il possédait. Il dit qu’il n’était pas rare qu’il soit menotté puis tabassé à coups de pieds et à coups de poings (ainsi que les autres détenus), ajoutant « nous sommes condamnés… personne ne se soucie de nous… nous n’avons personne à qui nous plaindre. Ils nous traitent comme des animaux et pire encore. S’ils me tuent mercredi soir, cela voudra simplement dire que je retournerai chez moi, que je retournerai dans le pays de mes ancêtres. Je serai libéré d’ici ».

C’était très affligeant d’entendre ces mots.

Puis Frank me dit qu’il ne demandait, et ne demanderait pas, la clémence pour lui-même. Il dit qu’il ne demanderait pas pardon pour un crime qu’il n’avait pas commis, et il me parla longuement de son cas. Il me dit qu’il savait que j’étais engagé comme membre actif dans le mouvement contre la peine de mort en tant qu’éducateur aux droits humains et que c’était précisément la raison pour laquelle il voulait me parler.

En fait, nous avions échangé quelques mots fin 1997, alors que je participais à une délégation d’Amnesty International qui enquêtait sur les couloirs de la mort à Huntsville. Nous nous sommes rencontrés une deuxième fois (très brièvement) et, par la suite, nous avons pu parler plus longuement en même temps qu’avec trois autres prisonniers dont l’exécution était programmée peu après notre visite. Frank voulu savoir si j’acceptais d’être témoin de son exécution ; ainsi je serais bien placé pour en parler au cours de discussions, de conférences, de voyages, etc. Il voulait utiliser sa mort de manière constructive et éducative.

Sa demande me fit d’abord sursauter, mais j’acceptai d’assister à sa mort, dans le cas où ses derniers recours seraient rejetés.

Il me dit que la liste de ses témoins comprendrait sa mère, sa conseillère spirituelle, et moi-même.

Note : quelques informations sur sa famille. Le père de Frank est un militaire de carrière, qui, une fois en retraite, travailla dans un service de contrôle juridique dans la zone de Fort Worth. Après la condamnation à mort de Frank, il fut harcelé sans pitié et dû finalement quitter ce poste.

Frank a deux sœurs, Theresa et Dawn. Dawn, mariée, était à l’époque enceinte de cinq mois et demi de son premier enfant. C’est pour cette raison que Frank ne voulait pas qu’elle assiste à sa mort. Au cours des dix ans que Frank a passé dans le couloir de la mort à Huntsville, son beau-frère, le mari de Dawn, n’est pas venu une seule fois avec elle lui rendre visite. Pourtant Frank dit qu’il était plus chanceux que la plupart de ses compagnons du couloir de la mort puisqu’il avait l’amour de sa famille. Sa mère et Dawn étaient les deux personnes qui venaient le voir régulièrement.

A 21h30, les gardes nous informèrent que notre temps de visite était terminé. Je dis à Frank que j’espérais qu’il obtienne un sursis, sinon je le verrais mercredi soir. Je le quittai et laissai Dawn quelques minutes de plus pour qu’elle puisse faire ses adieux à son frère.

Sur le chemin du retour à Dallas, elle me dit combien Frank était heureux de cette visite et qu’elle-même était résignée sur le sort de son frère car elle n’attendait plus rien de la part des tribunaux.

Elle ajouta qu’elle reviendrait à Huntsville le lendemain soir, dimanche, et qu’elle y resterait soit jusqu’à ce qu’elle apprenne l’obtention du sursis de Frank, soit jusqu’après l’exécution. Elle coordonnait les déplacements de sa famille, car elle avait trois tantes qui devaient arriver à Houston par avion, l’une du Maryland, une autre du Delaware et la troisième de Georgie.

Mardi après midi, 28 avril, Dawn me téléphona d’Huntsville à mon bureau, pour m’informer que les tribunaux avaient rejeté la demande d’audience de témoignages faite par Frank et qu’il était maintenant certain que son exécution aurait lieu le jour suivant. Je planifiai mon voyage à Huntsville, car Dawn me dit que les témoins de l’exécution étaient convoqués à 15 heures pour une réunion avec l’aumônier de la prison.

LE DERNIER JOUR, MERCREDI 29 AVRIL 1998

A Dallas, le mercredi 29 avril était une très belle journée. Il y avait un grand soleil et il faisait très chaud ; c’était le genre de journée qui remet en mémoire d’agréables souvenirs de printemps. Mais pendant que je conduisais en direction de Huntsville, je n’avais en tête que le but de mon voyage : dans quelques heures j’assisterais à la mise à mort d’un homme.

J’arrivai à Huntsville à 15 heures et me dirigeai vers le lieu fixé pour la rencontre, une chambre de motel au centre de la ville, à quelques immeubles de la prison où aurait lieu l’exécution. J’y trouvai Diana, la mère de Frank, Camille, sa conseillère spirituelle (de Houston), et deux aumôniers, un homme et une femme.

Pendant cette réunion qui dura environ une heure, l’aumônier (l’homme) nous décrivit ce qui allait se passer avant, pendant et après l’exécution de Frank.

Plusieurs fois il demanda à Diana si, émotionnellement, elle était prête à voir mourir son fils, et sa réponse était toujours la même… « Je suis prête ». Il rappela que nous pouvions encore changer d’avis et choisir de ne pas être témoin, mais nous répondîmes tous que ce n’était pas un choix, et que nous assisterions à cette exécution.

La mère de Frank, à plusieurs reprises, me fit part de son amertume. Elle était très en colère contre la procédure judiciaire qui avait conduit à une telle fin pour son fils et sa famille. Elle dit qu’elle savait que son fils était innocent et que leurs maigres ressources financières avaient contribué à sa condamnation car, lors du dernier jugement, il avait eu un avocat inefficace, commis d’office. Elle dit que son mari avait d’abord, bien qu’à contrecœur accepté d’être témoin, mais qu’après la dernière visite (de quatre heures ) de la famille à Frank, ce mercredi matin, il s’était effondré et avait décidé de rentrer à la maison. Il n’assisterait pas à la mort de son fils.

Elle ajouta que le mari de Dawn, Scott, qui ce même mercredi matin était venu pour la seule et première fois voir Frank à Huntsville, était reparti lui aussi pour Fort Worth, pour veiller, avait-il dit, à ce que le père de Frank rentre sans problème à la maison. Ainsi s’en étaient allés les deux seuls membres masculins de la grande famille des McFarland.

Diana avoua aussi qu’elle éprouvait un ressentiment contre son église (Baptiste). Elle dit que dès que Frank avait reçu sa condamnation à mort, pas un seul membre de la congrégation non plus que le pasteur, n’avait dit le moindre mot, ni fait le moindre geste pour réconforter la famille McFarland blessée par le chagrin et la souffrance. Elle dit « pendant dix ans nous avons été traités comme des lépreux. Quelle sorte de chrétiens ces gens sont-ils donc ? »

A 16 h 15 environ, nous nous rendîmes en voiture à la prison de « Walls Unit » où une escorte nous accompagna jusqu’à une grande salle d’attente.

Dans cette pièce, se trouvaient déjà les trois sœurs de Diana (les tantes de Frank) ainsi que Theresa et Dawn. Il y avait aussi deux membres d’une église de Houston à laquelle appartenait Frank ainsi que son conseiller spirituel. C’était la première fois que je rencontrais ces gens, sauf Dawn, naturellement. Les membres de la famille parlaient de la dernière visite rendue à Frank le matin même, et racontaient des anecdotes sur lui et la famille à mesure qu’ils se remémoraient certains moments vécus ensemble. Frank avait demandé et obtenu la possibilité d’écouter dans la cellule, avant son départ pour la chambre de la mort, de la musique de cornemuse écossaise enregistrée sur un magnétophone, et tandis qu’ils attendaient dans la pièce, ils essayaient d’imaginer ce qu’il était en train d’écouter.

Vers 17 heures, trois hommes du personnel de la prison et une gardienne arrivèrent pour conduire les trois témoins dans des pièces séparées afin de les fouiller. Je fus fouillé par un gardien tandis qu’un autre inspectait mon portefeuille. Je leur avais déjà donné mes pièces d’identité, et ils n’ont jamais pu me dire ce qu’ils recherchaient.

A 17 h 15 nous avons été ramenés dans la grande pièce, et avertis que nous ne devions avoir aucun contact, ni physique, ni verbal, avec tout autre membre de la famille. Nous allâmes donc à l’autre bout de la pièce. Puis un membre du personnel de la prison vint nous dire qu’avant l’exécution il nous conduirait dans une autre partie du bâtiment. Nous avons attendus jusqu’à environ 17 h 50 isolés et silencieux, tandis que les autres membres de la famille étaient rassemblés à l’autre bout de la pièce, parlant de Frank et évoquant leurs souvenirs.

A 17 h 50, lorsque trois gardes arrivèrent, les membres de la famille se turent aussitôt. Un garde dit « les trois témoins, veuillez nous suivre s’il vous plaît ». Cette séparation d’avec les autres membres de la famille fut très douloureuse ; la mère de Frank serra dans ses bras Theresa et Dawn, puis nous fûmes escortés dans une autre aile du bâtiment et conduits dans une autre salle d’attente située de l’autre côté de la rue.

Vers 17 h 58, nous entrâmes dans cette nouvelle salle, très grande, dans laquelle on nous fit asseoir sur un canapé. Il y avait déjà dans la pièce six membres du personnel de la prison, deux gardes et un reporter de l’Associated Press.

Personne ne nous regarda, personne ne nous parla. Nous restâmes assis sur le canapé pendant dix-sept minutes, jusqu’à 18 h 15, et pas une seule fois il ne fut fait attention à notre présence. Personne ne dirigea les yeux vers nous, et naturellement, personne ne nous dit le moindre mot. La mère de Frank était calme, très pensive. Camille, la conseillère spirituelle de Frank, me confia que c’était la deuxième fois qu’elle était témoin d’une exécution et me demanda si je l’avais déjà été.

Je venais à peine de répondre « non » qu’un homme entra à l’autre bout de la pièce, nous regarda et dit simplement « c’est l’heure. Suivez-moi, s’il vous plaît »

Nous sortîmes, et contournâmes le bâtiment. Le soleil était encore très chaud. Nous franchîmes une grande barrière surmontée d’une triple rangée de fils de fer barbelés. Deux gardes se tenaient à la porte extérieure de la pièce dans laquelle nous devions entrer.

Nous fûmes introduits dans la salle d’observation, et ma première impression fut qu’elle était bien petite pour nous tous : trois témoins, cinq reporters (qui se trouvaient déjà dans la pièce), la femme aumônier et quatre membres du personnel de la prison.

Les témoins se dirigèrent vers la fenêtre d’observation pour voir la chambre de la mort. J’étais à gauche, avec la mère de Frank à mes côtés, et Camille était à sa droite.

Frank était attaché au lit (« garney ») avec des courroies, la tête tournée vers la droite, et il nous avait vu entrer dans la pièce. Aucun membre de la famille de la victime n’était présent (ils auraient d’ailleurs été dans une autre salle et ils n’auraient eu aucun contact avec nous).

Frank nous accueilli d’un bref sourire. Il portait le survêtement bleu marine de la prison, des socquettes blanches et ses chaussures de sport Reebok. Chacune de ses chevilles était prise dans une entrave. Il avait aussi de larges courroies autour des jambes, une autre autour des cuisses, une autre autour de la taille et encore une autre autour de la poitrine. Il était étroitement attaché au lit. On ne pouvait voir ni ses mains ni ses doigts car ils étaient entièrement entourés de bandages.

L’aumônier, lors de notre rencontre l’après-midi, nous avait décrit ce que nous verrions mais n’avait pas pu nous donner plus d’explications.

C’était une scène étrange.

La chambre de la mort est très petite. S’il n’y avait pas eu de vitre à la fenêtre, nous aurions pu, en nous penchant par l’ouverture, toucher le bras droit de Frank.

Une aiguille était enfoncée dans chacun de ses avant-bras, et le cathéter qui reliait ces deux aiguilles pour l’injection létale était tout à fait visible. Une serviette pliée en trois sous la tête de Frank lui servait d’oreiller.

L’aumônier (l’homme) était debout au pied du lit, les yeux fixés au sol. Jamais il ne les leva sur Frank, pas plus qu’il ne regarda quiconque dans la pièce des témoins.

Le garde se tenait derrière la tête de Frank et lui aussi ne regardait que le sol.

Un volumineux microphone descendit du plafond et s’immobilisa à quelques centimètres seulement de la bouche de Frank.

Tout était très calme dans la salle d’observation et dans la chambre de la mort. Frank ferma les yeux et détourna la tête de la salle des témoins afin de pouvoir parler dans le microphone. Alors le garde dit à Frank « Vous pouvez faire vos dernières déclarations, si vous le désirez ». Le garde avait toujours les yeux fixés au sol, et je trouvais stupéfiant qu’il ne regarde toujours pas le condamné allongé à quelques pouces de lui.

Les yeux toujours fermés, Frank répéta qu’il était innocent, ajoutant « Je n’ai pas de pardon à demander pour un crime que je n’ai pas commis. Ceux qui ont menti et forgé des preuves contre moi auront à répondre de ce qu’ils ont fait. J’invoque les esprits de mes ancêtres, la terre, la mer, les cieux, et je leur demande de me faire un chemin ; c’est à eux que je fais le serment de mon innocence. Maintenant, je retourne chez moi ».

Il termina sa déclaration par « Loch sloy », le cri de guerre du clan McFarland en Écosse.

Les assistants médicaux chargés de l’injection létale avaient reçu l’ordre de n’intervenir qu’après que Frank eut prononcé « Loch sloy ».

Un grand silence régnait dans les deux pièces. Je vis la poitrine de Frank se soulever puis s’abaisser plusieurs fois ; il gardait les yeux fermés depuis qu’il avait détourné la tête de la salle d’observation, quelques minutes plus tôt.

Pendant un moment, Frank sembla être dans un profond sommeil, puis soudainement une longue expiration sortit de lui avec un bruit évoquant à la fois une toux et un gargouillement. Sa poitrine ne bougeait plus et il reposait très paisiblement étroitement attaché au lit, les yeux fermés et le visage sans expression.

Le garde et l’aumônier avaient toujours les yeux au sol, comme s’ils n’étaient pas conscients de la présence de Frank.

Cette scène resta figée dans le temps, pendant environ quatre minutes. Tout le monde gardait le silence dans les deux pièces. Finalement, la mère de Frank, qui se trouvait juste à côté de moi, le regard rivé sur son fils mort, dit « il semble si paisible. Il est dans un monde meilleur ». Et la conseillère spirituelle de Frank ajouta « sa souffrance est terminée maintenant ».

J’étais là, dans un silence total, choqué et n’arrivant pas à réaliser ce qui venait de se passer. Je ne pouvais pas croire ce que je venais de voir.

Au bout de quelques minutes, un assistant médical entra dans la chambre de la mort et se dirigea vers le bras de Frank. Il sorti une fine lampe de poche, et ouvrant les yeux de Frank, la pointa allumée sur chacun d’eux. Puis il mit sa main sur l’artère carotide de Frank, tâtant son pouls. Enfin il pressa le stéthoscope sur le cœur de Frank et se pencha tout près de son corps, pour chercher un battement de cœur. Puis il se redressa et dit, au micro, « la mort a eu lieu à 18 h 27. La mort a eu lieu à 18 h 27 ».

Il s’écarta alors du corps et fit les quelques pas qui le séparaient de la tête du lit où se trouvait le garde ; celui-ci alla à son tour vers le micro. C’était la première fois que je le voyais lever les yeux. En regardant dans notre direction, il répéta les mots de l’assistant médical, « la mort a eu lieu à 18 h 27 ». Alors l’assistant quitta la chambre de la mort.

La mère de Frank, le conseiller spirituel et moi-même avions encore le regard fixé sur le corps de Frank lorsqu’un membre du personnel de la prison dit derrière nous « les témoins, veuillez me suivre s’il vous plaît ». Les reporters sortirent un à un de la pièce suivis par Camille, la mère de Frank et moi-même. Avant de quitter la pièce je me retournai une dernière fois pour regarder Frank. Je ne vis plus ni l’aumônier ni le gardien ; je ne sais pas s’ils avaient quitté la pièce mortuaire. Ma dernière vision fut celle de Frank attaché au lit par courroies au centre d’une toute petite pièce, des tuyaux et des aiguilles enfoncés dans les bras, une expression paisible sur le visage.

Nous revînmes sur nos pas, traversant le bureau où nous avions attendu quelques instants auparavant pour gagner le bâtiment principal de Walls Unit de l’autre côté de la rue où les membres de la famille attendaient notre retour dans la salle d’attente principale. Personne ne parla. La mère de Frank était toujours calme ; il n’y avait pas de larmes dans ses yeux.

Lorsque nous entrâmes dans la pièce, je vis que tous étaient assis silencieusement autour d’une grande table. Mais à notre arrivée, certains se mirent à pleurer.

Dawn était à l’écart, seule dans un angle de la pièce. On voyait qu’elle avait pleuré et dès qu’elle nous vit elle éclata en profonds sanglots.

La mère de Frank alla tout de suite vers elle et dit en s’adressant à tous d’une voix forte « Frank n’a pas souffert. Il est parti en paix. Nous devons remercier pour cela ».

Tous se serrèrent les uns contre les autres, certains pleurant, d’autres se taisant, profondément choqués par ce qui venait de se passer. C’était une scène douloureuse, déchirante. Finalement les trois tantes commencèrent à réconforter Theresa et Dawn. Il était évident que les deux sœurs de Frank étaient très bouleversées et très agitées en apprenant la mort de Frank.

Un responsable de la prison se présenta et informa le groupe que les reporters désiraient savoir si la famille avait quelque chose à dire. Mme McFarland avait signalé, avant l’exécution, qu’elle ne parlerait qu’avec le reporter de l’Associated Press.

Ce dernier entra dans la pièce et présenta ses condoléances à Mme McFarland. Elle lui lu une déclaration rédigée à l’avance, qui disait notamment « Frank a payé le maximum pour un crime qu’il n’a pas commis. Il est désormais en paix et sa famille deviendra plus forte ».

Elle parla environ dix minutes avec le reporter, puis revint partager la douleur de sa famille. Je demandai au reporter combien de fois il avait assisté à des exécutions, et il me répondit « plus de cent ». Je lui demandai si, en dehors du fait que cela se passait dans le cadre de sa profession de journaliste, ces exécutions ne le perturbaient pas en tant qu’être humain… il se contenta de sourire et ne répondit pas.

Vers 19 heures, les membres de la famille McFarland décidèrent de se retirer dans leurs chambres à l’hôtel et m’invitèrent à les accompagner. Mais je sentis qu’ils éprouvaient le besoin d’être entre eux, et j’avais encore un long trajet pour regagner Dallas en voiture le soir même.

Nous nous retrouvâmes dehors où brillait toujours un chaud soleil et où des fonctionnaires de la prison ne nous adressèrent pas la parole.

Nous nous embrassâmes et montâmes dans notre véhicule.

Pour moi, le retour sur Dallas fût sinistre. Je passais et repassais sans cesse dans ma tête tout le détail de la procédure et j’étais complètement écœuré par ce que j’avais vu.

Plus tard dans la soirée, lorsque je me retrouvai dans mon bureau, la première chose que je vis fut un article de journal disant que la Cour suprême des États-Unis critiquait la Cour d’appel de la 9e circonscription pour les délais apportés dans les exécutions et citant les paroles du Président, le Juge William Rehnquist : « la Cour d’appel de la 9e circonscription lèse les victimes des crimes en retardant les exécutions ».

L’article rapportait les paroles du Juge Anthony Kennedy : « Il arrive un moment où l’État doit être autorisé à exercer son pouvoir souverain pour punir les coupables. C’est seulement grâce à un verdict effectif et irrévocable que les victimes d’un crime peuvent continuer à vivre normalement, car elles savent que le jugement moral sera exécuté ».

Ayant vu, trois heures auparavant, comment l’État mettait à mort un être humain, je ne pouvais détacher mon esprit de ces déclarations des juges de la Cour suprême, et à nouveau je réalisais pourquoi j’étais, avec tant d’autre, engagé dans ce combat. J’affirme avec certitude que ce dont j’ai été témoin est l’une des deux ou trois choses les plus horribles que j’aie jamais vues. Il n’y a absolument rien de civilisé dans cet acte. Ce n’est pas un acte humain, ce n’est pas de la justice.

Dans ma tête et dans mon cœur j’ai su alors que je venais d’être le témoin du mal. Je suis véritablement stupéfait de voir à quel point toute la procédure est déshumanisante, à la fois pour le condamné et pour la famille ou les amis du condamné. Il n’y avait aucun représentant officiel de l’État pour attester de la présence de Frank dans la chambre de la mort, et les gardiens ont, semble-t-il, accompli leur tâche comme des robots. Les membres de la famille ont, pour ainsi dire, été livrés à eux-mêmes pour traverser cette épreuve du mieux qu’ils le pouvaient, avec pour seul encouragement l’exhortation du personnel de la prison à « faire votre possible pour contrôler vos émotions ».

La procédure n’a pas grand chose à voir avec la culpabilité ou l’innocence ; elle n’a pas grand chose à voir non plus avec la justice ou l’équité.

Elle a tout à voir avec la suppression d’un individu que l’État, longtemps auparavant, a déclaré « indigne de vivre ».

Face à cette terreur, Frank McFarland est mort avec dignité et courage. Au moment où le poison pénétrait dans son cœur, il n’importait plus de savoir s’il était coupable ou innocent ; l’acte lui-même jetait un voile noir sur l’humanité.

Il n’y a absolument aucun moyen de se préparer mentalement à ce qu’on va voir et éprouver. C’est quelque chose d’incroyable que de se trouver littéralement à quelques mètres d’un homme sans défense, exécuté avec préméditation par l’État. Dire qu’il s’agit d’une punition capitale est trop doux. C’est infiniment plus grave.

C’est un processus d’annihilation, d’extermination qui vous laisse muet, traumatisé, impuissant, mais moralement enragé. Ce processus de destruction de la vie humaine, par son aspect méthodique de « boulot », est presque inconcevable.

Il faut que les abolitionnistes, qu’ils aient ou non assisté à une exécution, sachent la brutalité, la terreur, le pouvoir et le mal absolus d’un tel acte.

Je reste étonné et scandalisé que les hommes politiques, les juges et bien d’autres (en particulier ceux qui occupent des positions d’autorité) veuillent nous faire croire que c’est le mieux que nous puissions faire ; c’est une vue extrêmement lamentable et pathétique de l’esprit humain, qui devrait servir à la fois d’avertissement et de catalyseur pour tous les abolitionnistes du monde afin qu’ils se consacrent avec encore plus de ferveur à mettre fin à ce fléau le plus vite possible.



Rick Halperin
Membre d’Amnesty International et
de la Coalition du Texas pour abolir la peine de mort.


Traduit par Michelle Pellet
Membre d’Amnesty International
Marseille

Site internet de Rick Halperin. Un site les complets sur la peine de mort aux Etats-Unis
http://people.smu.edu/rhalperi/



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